Alors que l’histoire de l’informatique repose sur d’illustres pionnières, les stéréotypes persistent dans ce secteur et privent notamment la filière de la cybersécurité, en pleine expansion, de nombreux talents féminins.

D’après les études ISC2, les femmes ne représentaient que 11 % des emplois dans cette filière dans le monde en 2013. Sept ans plus tard, elles représentent près d’un quart de la main-d’œuvre en cybersécurité. C’est très encourageant et prometteur, cependant, le chemin reste encore long avant d’arriver à une véritable parité dans un domaine qui évolue constamment, et qui offre des carrières stimulantes et intéressantes.

Nacira Guerroudji-Salvan, présidente fondatrice CEFCYS
Nacira GUERROUDJI-SALVAN

Présidente fondatrice CEFCYS

Constats

En dix ans, le nombre de professionnels spécialisés en cybersécurité a doublé. Aujourd’hui, ils sont plus de 4,5 millions dans le monde à lutter contre des menaces cyber de plus en plus complexes, sophistiquées et qui réussissent. Des cyberattaques qui explosent en cette période de crise sanitaire liée à la COVID-19. Pour faire face à ces menaces, les entreprises peinent à trouver les ressources spécialisées dans la cybersécurité.

Malgré ce besoin sans cesse croissant de nouveaux experts dans ce secteur en pleine croissance, où les opportunités sont là et les salaires très attrayants, les femmes sont peu nombreuses. Le fait qu’il subsiste une pénurie de talents laisse à penser que d’autres facteurs empêchent les femmes de s’impliquer.

La cybersécurité : un domaine en plein essor mais qui peine à recruter

Comment expliquons-nous cette sous-représentativité des femmes dans un des domaines du numérique les plus dynamiques et les plus passionnants ?

Voici quelques-unes des principales raisons :

  • La figure de l’adolescent au sweat à capuche qui pirate une multinationale depuis sa chambre reste ancrée dans les esprits

La cybersécurité est un domaine transverse, essentiel pour protéger le patrimoine numérique de l’individu, les entreprises et administrations, ainsi que l’État. Et pourtant, la filière est méconnue et mal jugée. Ce manque de connaissances et de sensibilisation aux métiers de la filière est l’une des raisons de la pénurie de femmes dans ce domaine. En effet, de nombreux clichés sont toujours présents dès qu’on parle de cybersécurité : c’est une filière purement technique, c’est un métier de geek, ce n’est pas un métier pour les femmes… Tous ces clichés par méconnaissance font fuir toute initiative de s’impliquer dans ce domaine.

  • L’organisation, la culture et la place de la femme dans l’entreprise

Le manque d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle est l’un des freins qui touchent et affectent l’évolution de carrière de toutes les femmes au-delà des métiers du numérique. À noter l’aspect positif de la pandémie de la COVID-19 qui a placé de nombreux hommes et femmes en télétravail, mettant ainsi en évidence des défis importants de l’équilibre entre la vie familiale et professionnelle.

Par ailleurs, plusieurs études montrent une différence significative de salaire entre les hommes et les femmes dans des emplois du numérique, dont en cybersécurité. J’ai moi-même été confrontée à cette situation lors de mon arrivée dans une structure la même semaine qu’un homme pour le même poste. Alors que j’avais plus de certifications, de qualification et d’expérience, mon salaire était inférieur de 20 % par rapport à mon collègue. Quand j’ai demandé des explications sur cette différence à notre supérieur, il m’a répondu : « il a su négocier ! ».

  • Le manque de modèle féminin dans les métiers du numérique

De façon globale, les filières du numérique souffrent cruellement de la persistance de stéréotypes de genre, ainsi que de l’absence de modèle féminin.

De même, l’attractivité des métiers de la cyber pâtit d’un manque de modèles féminins dans lesquels les lycéennes et étudiantes peuvent s’identifier. Ainsi, dans une filière où peu de femmes exercent, les jeunes filles peuvent avoir l’impression que ces métiers ne sont pas pour elles.

  • Le besoin de prouver sa valeur deux fois plus qu’un homme

Le problème du « mansplaining » et de l’ensemble des discriminations s’exerçant à l’encontre des femmes dans le domaine de la cybersécurité, entraîne qu’ils finissent aussi par décourager les principales intéressées. À force de voir leur travail dévalorisé et sans perspective d’évolution au sein de leur entreprise, de nombreuses expertes se sous-estiment, voire refusent d’intégrer ce secteur.

J’ai fini par être acceptée dans une équipe d’hommes où j’étais leur cheffe quand j’ai tiré les câbles sous les faux planchers, brassé des baies réseaux, assuré des astreintes techniques la nuit…

Comment améliorer la place de la femme dans ce secteur ?

  • Combattre les stéréotypes le plus tôt possible

Dans ce secteur, le système éducatif n’incite pas les jeunes filles à s’orienter vers les métiers du numérique. Les écoles et les universités entretiennent encore trop souvent des clichés. Elles mettent peu en avant les modèles féminins, auxquels peuvent s’identifier les femmes.

Dès le plus jeune âge, il existe une perception inégale des programmes de sciences, de technologie, d’ingénierie et de mathématiques. Ces filières sont présentées aussi bien aux garçons et qu’aux filles, cependant les garçons sont plus encouragés à poursuivre une carrière dans ces domaines.

Donc, si l’on souhaite avoir plus de femmes dans les métiers du numérique et notamment dans la cybersécurité, il faut commencer par revoir les discours et les stratégies d’orientation dans le système éducatif pour les jeunes filles. Il faut mettre en œuvre tous les moyens pour encourager les jeunes filles à explorer les études dans les technologies et les mathématiques, et les pousser vers les cyber-carrières afin de rendre les professionnels de demain plus autonomes.

  • Encourager et explorer les opportunités d’apprentissage

Le faible nombre de femmes dans la cybersécurité montre la nécessité pour les femmes de se mettre en réseau sur le terrain. Partout dans le monde, des organisations s’efforcent de réduire l’écart entre les sexes en connectant et en soutenant les femmes dans la cybersécurité. Ces organisations permettent aux femmes de rejoindre des groupes, d’assister à des conférences, de poursuivre leurs études et d’explorer de nouvelles possibilités en matière de cybersécurité. Les organisations offrent également des moyens de se connecter avec les leaders de l’industrie et de trouver un mentor, qui peut être une source fiable d’orientation, d’accompagnement et de réseautage. Les mentors peuvent également fournir les leçons tirées de leurs propres expériences passées.

  • Ouvrir la voie aux les femmes et attirer plus de femmes vers la cybersécurité

Pour attirer plus de femmes vers la cybersécurité, les gouvernements, les organisations à but non lucratif, les associations professionnelles et commerciales, et le secteur privé doivent travailler de concert.

Attirer davantage de femmes dans le domaine de la cybersécurité nécessite des efforts conjoints dans le recrutement, l’accompagnement et l’évolution de carrière… Ainsi, les offres d’emploi en cybersécurité doivent être rédigées de manière à ce que les femmes professionnelles se sentent les bienvenues. Les efforts de recrutement devraient se concentrer sur les établissements universitaires à forte présence féminine.

Les entreprises devraient veiller à ce que les employées considèrent la cybersécurité comme une opportunité pour les changements de carrière internes. Enfin, le gouvernement devrait collaborer avec le secteur privé et les établissements universitaires pour intéresser plus de jeunes filles aux métiers du numérique, et en particulier la filière de la cybersécurité.

Quelques conseils

Pour encourager plus de femmes à s’engager dans les métiers de la filière de la cybersécurité, j’aimerais apporter quelques conseils.

Il faut en finir avec l’autocensure : lancez-vous, tissez votre réseau professionnel ! Le mentorat, notamment au CEFCYS, peut vous aider et vous accompagner dans l’apprentissage et l’émancipation. Rien n’est terminé, quel que soit votre âge. Certaines me disent qu’à 45 ou 50 ans leur chance est passée, je réponds NON. La cyber offre des possibilités de rebondir, tant les évolutions du secteur sont rapides et tant il peine à recruter. Ne vous interdisez rien, ne restez pas dans votre coquille ! La révolution cyber doit aussi entraîner une prise de conscience et une révolution culturelle et comportementale.

Ne pas se laisser intimider : il faut prendre le risque et se lancer. Certes, le domaine est dominé par les hommes, mais allez-y et exigez le respect et l’égalité. Il faut arrêter de se sous-estimer, et il faut avoir confiance en ses compétences quand on arrive dans un milieu d’hommes.

Apporter des témoignages de réussite pour encourager les autres : cela peut aider celles qui n’osent pas prendre la parole à se découvrir. Assistez aux conférences, travaillez votre réseau également en interne dans l’entreprise, et cherchez les meilleures opportunités pour évoluer. Osez postuler à des postes de RSSI, ils ne sont pas réservés aux hommes ! Osez prendre la parole, et exprimez vos convictions ! Engagez-vous et engagez-vous tôt. Découvrez quelle est votre passion. Commencez à apprendre. Qu’il s’agisse d’un hackathon ou d’un défi de cybersécurité, comme une capture du drapeau ou un CyberStart…

Engagez-vous et commencez à apprendre. Voilà la meilleure façon.

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